Dans La Caravane Passe, le point de vue est toujours celui du voyageur. Depuis bientôt vingt ans, Toma Feterman entraîne son groupe et nous tous ensuite – dans un double trajet à travers les musiques des Est et des Sud de l’Europe, puis dans des tournées
internationales qui s’arrêtent partout où des spectateurs rêvent de partir.
Avant de mettre en chantier ce sixième album studio, La Caravane Passe a tourné quatre ans ; quatre années pendant lesquelles le groupe s’est beaucoup inspiré de ce qu’il a entendu lors de nouvelles escales – Turquie, Liban, Corée, Nouvelle-Calédonie, Japon, Egypte… chinant de la musique, des instruments à cordes pour Toma (saz, baglamas, tzouras…), des conques dans l’Océan Pacifique pour Llugs, des flûtes traditionnelles pour Zinzin…
Une fois de plus, s’emmêlent les frontières, les langues, les formes, les rythmes. Mais on reconnait bien l’art mélodique de Toma Feterman, ses compositions à l’accent parigot de la Mitteleuropa, nourri de hip-hop et parlant couramment le serbo-croate.
Justement, dans une de ses nouvelles chansons, il se dit « yougostalgique », c’est-à-dire fasciné par un pays fantasmatique dont les peuples continuent de pratiquer – dans les mariages, les enterrements et les baptêmes – des musiques traditionnelles dont le naturel et l’élan manquent à la France.
La musique populaire doit créer du lien, dit Toma. Aux concerts de La Caravane Passe, nous disons qu’avec nous, les
gens peuvent devenir gitans au moins un jour dans leur vie.
Il s’agit aussi d’« inviter à la fête en ayant conscience du chaos qui nous entoure » – à mi-chemin de Nietzsche et du musicien de
village. Parler du point de vue du voyageur, c’est aussi parler du point de vue du migrant, sans grands mots, sans moralisme et
avec le désir furieux de danser. Aucun message politique explicite et c’est tant mieux : La Caravane Passe dit, montre et vit le plaisir, le vertige, la transe, la fraternité, la liberté.
Et cela vaut tous les tracts. En français, anglais, espagnol, catalan (la patrie de Llugs) et quelques autres langues, La Caravane Passe cavale sur les routes du partage.
Le groupe invite l’ovni gnawa Mehdi Nassouli, la chanteuse flamenca Paloma Pradal, le quatuor balkano-banlieusard Aälma Dili, un accordéoniste breton, un trompettiste serbe, un cymbaliste moldave, un koriste malien, un joueur catalan de tenora – une Internationale de l’esprit nomade.
Nomadic Spirit vient quelques mois après la sortie posthume de Je suis africain, album de Rachid Taha que Toma a co-écrit et produit. Une aventure qui semble projeter une ombre bienveillante sur le nouvel album de La Caravane Passe.
Toma a pris l’habitude de réaliser les albums du groupe mais, ici, il a un coréalisateur. Ce n’est pas n’importe qui : Sodi appartient aussi au « canal rachadien ». Révélé tout jeune par sa collaboration avec les Négresses Vertes, il a produit en une trentaine d’années quelques dizaines d’albums de Fela Kuti, Femi Kuti, les Têtes Raides, IAM, la Mano Negra, Sinsemilia ou évidemment Rachid Taha. « Le jour du décès de Rachid, il m’a appelé parce qu’il montait à l’arrache un hommage sur Radio Nova. Nous sommes restés vingt-quatre heures ensemble. »
Les deux rachidistes vont donc collaborer sur cet album de La Caravane Passe – « il m’a poussé sur la réalisation et je l’ai poussé sur le mix ».
Aujourd’hui, le temps du laboratoire est terminé. Avant même la sortie de Nomadic Spirit, La Caravane Passe est déjà repartie en tournée. Plusieurs années de salles et de festivals complices, de pays connus et de terres neuves, sous le soleil nocturne de chacune des saisons. Partout. Pour chacun d’entre nous tous, les sédentaires, voici un peu de l’esprit nomade qui retisse d’utiles liens. Comme pour nous rendre la liberté oubliée du voyage.
Bertrand Dicale